Digital Icons, icônes numériques, vers une hybridation de tous les sens – Jacques Donguy

By JakTN-2020 on 2 février 2020 in blog
0

On peut parler spécifiquement d’icônes numériques avec les œuvres poétiques et graphiques d’Augusto de Campos (augustodecampos.com.br), qui utilise l’ordinateur depuis 1992 pour créer de nouvelles typographies, dans la lignée de la poésie concrète, dont il est le co-fondateur.

Cela se présente comme des tableaux, du côté des arts plastiques, avec des implications du côté de la musique, comme on le voit dans ses spectacles « live » Poesia é Risco. Il faut en fait remonter à James Joyce et à son concept de “verbivocovisual” dans Finnegans Wake (fragment 340), concept repris par les frères De Campos et par Marshall McLuhan.

Comme Augusto de Campos le dit dans sa préface de Não Poemas : « Parfois je pense que je suis moins poète que musicien et moins musicien qu’artiste graphique. Carl Ruggles qui, comme Charles Ives, est un des deux patriarches de la musique moderne américaine, avait coutume de dire : Je peins la musique. Presque une définition pour un expoète comme moi. »[1]

Cela renvoie à notre propre concept d’ « élargissement du langage », objet de conférences notamment au SAIC de Chicago sur l’invitation d’Eduardo Kac, ou sortir du tout typographie. Il s’agit de penser « l’impensé technologique » dont parle l’artiste Gregory Chatonsky dans son Journal. L’imprimerie à caractères mobiles, technologie dominante au XIXème siècle, focalise sur le sens de la vue, comme l’explique Marshall McLuhan dans La Galaxie Gutenberg, avec la lecture silencieuse.

Il s’agit pour nous de tenter de créer une écriture au plus près du fonctionnement réel du cerveau, dont l’activité ne s’arrête jamais, en tenant compte de tous nos sens, comme nous l’expliquions dans l’émission Tracks sur Arte consacrée à la Cyber poésie[2].

Raoul Hausmann en avait rêvé avec son projet d’Optophone[3] concernant la vue et l’ouïe, nos deux sens principaux, et les technologies du numérique permettent aujourd’hui de s’en rapprocher, par-delà les prémonitions d’un Charles Cros ou d’un Norbert Wiener.

L’ordinateur pour nous est un démultiplicateur en aléatoire d’images fixes ou en mouvement, de typographies, de sons, au départ choisis par nous et programmés en Pure Data. Il n’y a donc pas d’intelligence artificielle autonome, pas de texte cyborg qui s’auto-créerait, mais des logiciels que l’on nourrit de Data.

Être au plus près de la réalité sensorielle, c’est aussi être dans un véritable espace à 3 dimensions, ce que permet la réalité virtuelle, que nous utilisons dans le dispositif VR Space (2019) avec casque de réalité virtuelle, en attendant d’autres technologies immersives qui permettent l’hybridation de tous nos sens.

Pour Digital Icons – février 2020
Jacques Donguy

———————–

1- Augusto de Campos, Poètemoins, A.D.L.M. Les presses du réel, 2011
2- Émission “Tracks” du 12.10.2018 sur Arte, consultable en replay.
3- En 1922, l’artiste dadaïste Raoul Hausmann imagine l’Optophone, un appareil capable de transformer des formes visibles en sonorités et vice et versa, mais que, faute de moyens, il n’a pas pu réaliser concrètement de son vivant. Lire aussi : L’Optophone ou lespéripéties d’une invention.