Editorial

By JakTN-2020 on 3 février 2020 in blog
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Avec Digital Icons (dans le cadre de la septième édition de  Transnumériques – biennale des cultures et émergences numériques), Transcultures, à l’invitation de Central, propose, dans les espaces d’exposition muséaux du Mill, une exposition (+événements attenant) autour des mutations et des traductions (d’un médium à l’autre) des images-signes, images-données, images-réseaux qui prolifèrent dans notre hypersphère et contaminent, pour le meilleur et le pire, notre regard et notre imaginaire.

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Transnumériques – plate-forme pour les cultures et émergences (post)numériques

Depuis son lancement par Transcultures (Centre des cultures numériques et sonores), en 2005 à Bruxelles et à Mons (et par la suite dans d’autres villes en Fédération Wallonie-Bruxelles, parfois  avec des déclinaisons en France), Transnumériques a oeuvré, sous forme de festival d’abord annuel puis biennale, pour l’introduction des arts numériques (et bien souvent pour la première fois) dans des lieux ou des manifestations dont ça n’était pas l’objet premier, leur permettant de se connecter, ainsi que leurs publics, avec ses nouvelles pratiques et de renforcer les transversalités et connectivités transculturelles.

Outre ce temps fort qui s’inscrit dans une certaine durée interrelationnelle à l’inverse d’une éphémère spectacularité, Transnumériques est un programme générique et modulable de Transcultures dédié à la diversité des cultures numériques permettant aussi de labeliser des projets autour des intersections arts/sciences/technologies/innovations, …la dimension prospective étant associée ici à des rappels historiques et à la présentation de créateurs de dimension internationale  ainsi qu’à une attention particulière pour les artistes (y compris les jeunes talents) numériques et intermédiatiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

La biennale Transnumériques comprend une exposition thématique mais aussi, selon les opportunités et les contextes, des résidences, des workshops, des conférences/rencontres, des ateliers (pour différents publics donc les plus jeunes avec les ​Digital kids​), des ​Transdémos​ (présentation d’oeuvres in progress avec un retour direct aux concepteurs du public et des professionnels) ou, d’autres activités susceptibles de réunir, dans l’esprit fédérateur qui anime Transcultures, divers partenaires culturels mais aussi scientifiques, sociaux, pédagogiques…des communautés, des individualités et des singularités tout en provoquant une vraie rencontre avec les créateurs/concepteurs soutenus qui  bénéficient d’un éclairage qualitatif et peuvent éventuellement, également dans un souci d’accompagnement à la diffusion des projets, trouver d’autres opportunités de développement en Belgique et à l’international.

Après avoir été, lors de l’édition précédente, une tribune artistique et réflexive pour la disnovation, s’érigeant contre la  propagande (et la dictature) de l’innovation permanente, ce septième opus, s’interroge -notamment via des modes de réappropriations artistiques et de détournements poétiques- sur ces images numériques aujourd’hui proliférantes, qui sont devenues, via nos petits et grands écrans prothèses, notre environnement quotidien et qui nourrissent -ou, c’est selon, colonisent – nos paysages mentaux.

Ces transnumérique#7 sont une invitation libre à une écologie du regard, à prendre un peu de recul pour mieux ouvrir les yeux sur ce qui nous les ferment.

Digital Icons – pour une écologie pirate des images numériques

En 1967, Guy Debord évoque, dès le second chapitre de La société du spectacle, des images qui « se sont détachées de chaque aspect de la vie et qui fusionnent dans un cours commun, où l’unité de cette vie ne peut plus être rétablie. Via ses images d’un monde « où le mensonger s’est menti à lui-même » dans « un spectacle qui est l’inversion concrète de la vie », la réalité considérée partiellement se déploie, selon le chantre du situationnisme, en tant que « pseudo monde à part, objet de sa seule contemplation ».

Aujourd’hui, cette sentence critique implacable nous apparaît comme visionnaire, annonciatrice de notre hypermodernité qui déverse ses flux d’images en mouvement où les distinctions « réel/virtuel », « vrai/faux », « naturel/fabriqué » se sont dissoutes dans un grand vacuum à la fois (re)producteur et insatiable consommateur d’audiovisuel jetable.

Dans le monde du big data[1] et de la surmédiatisation des images, les signes se vident instantanément de leurs signifiants. Il n’y aurait plus un langage premier, mais des images démultipliées, remixées à l’infini qui s’éloigneraient de plus en plus de leur origine pour ne laisser apparaître que des données dont l’hyper polysémie ne serait plus appréhendable.

Selon le sociologue/philosophe Jean Baudrillard, tout ne serait plus, à l’ère du vide communicant, que simulacre, copie de l’identique d’un original qui n’aurait jamais existé. La technologie fétichisée participe du « spectacle de la machine qui produisant du sens, dispense l’homme de penser ». C’est en l’enrayant pour mieux l’ouvrir et la reprogrammer, que l’on pourrait éviter la « démence digitale » et ré/activer notre mémoire humainement vive.

Ces Digital Icons interrogent l’image en tant que signe, au-delà –ou plutôt en-deçà du simple visuel, en termes d’informations, de données qui compose le signe et qui crée l’icône d’aujourd’hui, « objets de vénération », d’un monde où qui  contrôle la dés/information détient le pouvoir. Voici bientôt 30 ans, le médiologue Régis Debray[2] résumait l’équation de notre ère visuel : le Visible = le Réel = le Vrai[3]. Même si la déferlante des fakenews nous a appris à ne pas forcément toujours en “croire nos yeux”, il faut rappeler plus que jamais qu’il n’y a pas d’image en soi. Il fut un temps où elle était magique, sacrée/cultuelle (plus particulièrement en Occident) ; elle est dans tous les cas culturelle et est devenue, dans notre hypermédiasphère, la plupart du temps, économico-pornographico-politique, et ce sans plus aucune retenue. Ses propriétés et son statut varie également en fonction des évolutions technologiques qu’il nous faut aussi comprendre pour ne pas en être le jouet béat.

C’est à partir de ces visions critiques et décryptages transversaux que Digital Icons met en relief différents modes (poétiques, engagés, participatifs,…) de réappropriation artistique des images-données (informationnelles, fictionnelles, organiques, scientifiques, technologiques…) à l’ère (post)numérique.

Sont ici conviés des multi-créateurs, iconoclastes d’un genre nouveau, non plus destructeurs d’images sacrées, mais iconosampleurs, tantôt pour mieux les liquider en fin de traitement, tantôt pour mieux les confondre et révéler, à notre in/conscient optique, ce qu’elles cachent sous leur apparente évidence ou pour leur donner une nouvelle vie en les hybridant.

En investissant les salles d’exposition temporaire du Musée Ianchelevici (Mill) avec une sélection d’installations, projections, dispositifs connectés… constituant une exposition intermédiatique ponctuée d’événements.Chacune de ces œuvres, dans sa singularité, est, d’une manière ou d’une autre, le fruit d’un art du détournement d’images mais aussi de sons, de données, de pratiques et/ou d’esthétiques croisant des récits et des imaginaires qui participent de (contre)cultures numériques qui s’inscrivent dans une filiation -non linéaire- de fulgurances artistiques, scientifiques, technologiques et philosophiques.

What you see is not what you get but what you can (re)create!

Philippe Franck,
Transcultures/Transnumériques

 


1- Des ensembles de données devenus si volumineux qu’ils dépassent l’intuition et les capacités humaines d’analyse et même celles des outils informatiques classiques de gestion de base de données ou de l’information.
2- La médiologie n’est pas  une sociologie des médias. C’est la fonction médium, sous toutes ses formes, que la médiologie étudie sur la longue durée et sans se laisser obnubiler par les médias de l’ici et maintenant, la médiologie s’intéressant donc d’avantage aux enjeux de la transmission que de la communication, aux relations entre les objets qu’elle étudie plutôt qu’à leurs statuts.
3- Régis Debray, Vie et mort de l’image (une histoire du regard en Occident), Gallimard (Folio), 1992, p499.