STILL LIFE – LIFE STILL par Régis Cotentin
LIFE STILL* est une série d’animations digitales qui réinterprètent et actualisent les tableaux de Vanités du Siècle d’Or. L’inversion de l’expression anglo-saxonne ‘Still Life’ illustre l’idée que de la vie circule encore dans ces natures mortes.
La composition des LIFE STILL harmonise ensemble des tableaux de peintres différents de la même période historique, en sélectionnant et en transposant autrement les objets, les détails, les couleurs, les formes pour ensuite les (ré)animer par des effets composés pour chacun d’eux. Chaque LIFE STILL est unique et chaque animation correspond à un traitement digital particulier, qui définit la symbolique de chaque ‘tableau vivant’. Chacun cachent de nombreuses animations qui ne se distinguent qu’au fil du temps, transposant la contemplation picturale dans le registre de l’animation digitale. Aussi la série constitue un ensemble d’œuvres qui n’existent que sous forme animée.
L’homme, cet ‘animal métaphysique’ (Schopenhauer), est attaché à ce qu’une œuvre d’art soit plus qu’une apparence, qu’elle diffuse une vision intense, qu’elle suscite la croyance, qu’elle s’anime d’un effet de présence, voire de transcendance. La création artistique procède de l’existence humaine. Représentations des tourments de l’esprit et des questionnements existentiels, les tableaux de Vanités sont autant de questions sur l’être. Leur métaphysique visuelle s’impose à nous de façon encore plus évidente quand les épreuves de l’existence s’accomplissent en relation avec l’invisible. Les grandes douleurs sont muettes. Poèmes de l’ineffable, ses représentations alors « s’ouvrent et se ferment comme nos corps qui les regardent (…) dans la mesure où (ils) suscitent en nous quelque chose que l’on pourrait nommer une expérience intérieure. [1] » Les Vanités nous accompagnent quand le monde et la réalité nous échappent au point de nous interroger sur le destin. « Dans cette perspective, donc, l’ouverture de l’image est donnée comme une métaphore de l’intériorité spirituelle.[2] » Figures et objets y sont livrés au péril de leur aspect comme lorsque la vie s’évanouit autour de nous.
Absorbés, nous pénétrons l’image peinte jusqu’à chercher dans la matière même le sens symbolique des figure et des objets. Le regard articulant chaque motif selon la rhétorique d’ensemble, les Vanités se lisent comme des rebus visuels. Elles invitent à contempler dans chaque détail le dévouement du peintre pour la spiritualité des formes. L’animation des LIFE STILL renforce cette impression en imposant un temps de lecture différent de l’image peinte, afin qu’à chaque voyage de l’œil dans la composition, la compréhension de l’œuvre s’enrichisse d’une nouvelle impression.
Dans les natures mortes moralisées, dans les allégories sur la futilité des plaisirs et des biens terrestres ou encore dans les memento mori (‘Souviens-toi que tu vas mourir) en peinture et en sculpture, l’emblème absolu de la vanité est le crâne humain, qui interpelle. L’ombre des orbites provoque une sorte d’hypnose comme si une incandescence surnaturelle s’était formée au fil du temps dans leurs profondeurs. « Il existe un regard auquel on ne résiste pas. Ce regard existait avant même l’humanité. À partir de ce regard les corps s’emboîtent comme les proies dans les mâchoires des carnivores.[3] » Le front lisse semble habiter une âme. Les mâchoires dessinent un sourire ironique. Son volume concentre un silence où retentit une divination. Une relique mystique suscite la vénération. La voûte crânienne prend la forme d’une pensée. Les points de saillies dénotent le caractère. Les dimensions de la boite crânienne exposent l’intelligence et la sensibilité. Elle est une chambre obscure abritant une pluralité de mondes possibles, prêts à prendre la place du réel. Ses propriétés confinent à la magie. Son volume contient le silence mystique d’une divination.
Dans les LIFE STILL, l’animation révèle progressivement quelle vie est contenue dans l’impassibilité de la représentation. Diverses phases du temps se compénètrent en une même scène. Elles se nouent et se confondent. Les LIFE STILL en tant que représentations cinématiques montrent le mouvement, entre autres, par sa décomposition, centrée sur la conscience de la durée. Le spectateur contemple la palpitation de la réalité dans la sensation picturale.
Pour Digital Icons – février 2020
Régis Cotentin
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*LIFE STILE est une série commencée par l’artiste pour Transnumériques #7. Les images reprises dans cet articles sont des projections du projet final.
[1] Georges Didi-Huberman, L’image ouverte, Collection Le temps des images, Editions Gallimard, 2007, p.25 + 27
[2] Georges Didi-Huberman, L’image ouverte, Collection Le temps des images, Editions Gallimard, 2007, p.25 + 27
[3] Pascal Quignard, Vie secrète, Gallimard, Paris, 1998, p.106