Eva & Franco Mattes – 0100101110101101.ORG | les médias comme matière de création

By jac_TN2018 on 9 mai 2018 in blog
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Italiens nés de la même année, Eva & Franco Mattes, plus connus sous le code binaire 0100101110101101.org, font figure de proue du mouvement net-art. Leur terrain de jeu créatif est vaste, et infini, puisque que c’est essentiellement sur Internet et ses zones invisibles qu’ils posent leurs regards. Basés à New-York, ils provoquent et dérangent par des pratiques qui questionnent le faux, le hoax, entre réel et virtuel.

Alors que l’Italie est avant-gardiste dès 1990 et frappe avec détermination de son activisme, Eva & Franco Mattes sont reconnus grâce au Projet Luther Blisset, auquel ils participent, avec d’autres artistes du net-art, jusqu’à ce que leur carrière artistique prenne son élan à la fin des années 1990. Ils se saisissent avec un temps d’avance des problématiques liées à la grande révolution de l’information. Dès 2004, ils fondent à Barcelone, avec Bani Brusadin, le Festival Influencers qui met à l’honneur « l’art non conventionnel, la guérilla informationnelle et le divertissement radical ». En lire plus sur makery.info

Leur projet Emily’s Video (2012) est présenté à l’exposition Ecritures Numériques dans le cadre de la sixième Biennale des cultures et émergences numériques Transnumériques au Musée L de Louvain-la-Neuve (Be). Réalisée suite à une annonce passée sur Internet qui proposait à qui le souhaitait de voir «la pire vidéo jamais vue», Emily’s Video démarre comme un classique tutoriel : une série de personnes, face à leur webcam, s’assoient devant l’écran en affirmant «I’m about to watch Emily’s Video». Certains fanfaronnent tandis que d’autres semblent quelque peu inquiets mais, très vite, les grimaces trahissent le dégoût et la gêne de ces spectateurs pourtant volontaires. Enfin, alors quelques-uns rient aux éclats, il y en a qui détournent le regard, se cachent les yeux, stoppent le film, éclatent en sanglots ou quittent la pièce. Le duo new-yorkais propose ici l’une des vidéos les plus éprouvantes qui soient sans pourtant rien montrer d’autre que des visages de gens assis face caméra. Ici encore, l’effet de temps réel est saisissant, renforcé par le fait que nous savons que nous regardons une vidéo dont la duréeest approximativement identique à celle visionnée par les protagonistes qui se trouvent de l’autre côté de l’écran. Le temps de visionnage de vidéos sur YouTube ou tout autre site d’hébergement de films est un temps suspendu, un temps d’absorption dans le médium, dans le flux d’images, dans le zapping qu’il incite à opérer, mais le voyeurisme qu’il induit bien souvent —via la propagation de vidéos personnelles filmées pour la plupart à la webcam— tend à lui donner une apparence de «temps réel» (Aude Launay in 02 revue d’art contemporain #73)

Zoom sur quelques uns des multiples projets de ces artistes hacktivistes.

Les hommes invisibles

Eva & Franco Mattes sortent de l’ombre les travailleurs précaires dont la lourde tâche consiste à rendre le web plus propre et blanc. Dark Content compile des interviews déroutantes qui rendent compte des entrailles stupéfiantes du web à travers la parole d’individus représentés sous la forme d’avatars. Dans une interview parue sur lemonde.fr réalisée par Marie Lechner, Eva & Franco racontent les coulissent de leurs recherches.

Nous avons décidé de publier les vidéos sur le Darknet parce que nous voudrions encourager les gens, tout spécialement ceux qui ne sont pas familiers de l’Internet anonyme, d’installer le navigateur Tor et de s’y aventurer. C’est un effort pour s’opposer à la manière dont l’Internet officiel repose de plus en plus sur des vrais noms et des données personnelles, avec des entreprises qui font du profit sur nos informations privées. Eva et Franco Mattes

Au cœur de l’exposition personnelle Abuse standard violation que leur consacre la Gallery Caroll/Fletcher à Londres du 10 juin au 27 août 2016, l’oeuvre Dark Content illustre parfaitement le fil rouge des explorations du duo qui semble être guidé par l’intention de rendre visibles les choses cachées.

Eva & Franco Mattes, enfant terribles of Net Art and now godparents of the digital natives (they set the stage for the erosion of privacy long before the emergence of social media), have been exposing all aspects of the digital life – the embarrassing, the narcissistic, the fearless, the gross, the voyeuristic, the insipid, the heartless, and the just plain stupid – revealing the underbelly of our hyper-connected lives. écrit Randall Packer à leur sujet

Leur intervention à l‘ICA en juillet 2016 avec l’artiste Jesse Darling et le curateur Ben Vickers est à voir ci-dessous.

Entre simulation et réalité

La fascination d’Eva & Franco Mattes pour les phénomènes imperceptibles prend également la forme de vidéos/performances virales qu’ils réalisent en faisant intervenir le spectateur. Ils se jouent des limites entre simulation et réalité. Dans No Fun (2010) Eva & Franco Mattes reconstruisent une scène de pendaison qu’ils diffusent en ligne sur le célèbre site internet Chatroulette.

Freedom (2010) est un autre exemple de création qui s’infiltre dans un jeu vidéo de guerre dans lequel Eva fait tout pour éviter d’être prise pour cible, en invoquant qu’elle est en train de réaliser une performance artistique. En vain, elle subit les tirs des autres joueurs et, malgré son plaidoyer pour survivre, meurt à maintes reprises.

En 2015, dans une intervention à la School Visuart Arts, ils reviennent sur quelques uns de leurs projets, dont Emily’s Video (2012), présentée à l’exposition Ecriture Numériques dans le cadre de la Biennale des cultures numériques Transnumériques, et qui révèle au grand jour les réactions des internautes face à une vidéo perturbante qui se trouve sur leurs écrans.

La vie détournée de Second Life

Dans I know that it’s all a state of mind (2010), le jeu vidéo Second Life devient le théâtre d’une performance de 4 heures. Sur son blog, l’auteur anonyme décrit la manière dont elle est mise en scène et comment agissent les avatars des personnages principaux et spectateurs. Dix minutes de cette performance sont visibles dans cet extrait vidéo.

Trois années de transparence digitale

Pendant trois années, de 2000 à 2003, les données personnelles du duo d’artistes sont rendues accessibles au public via un partage en temps réel, sur le modèle du Peer to Peer. Marquant leur défense pour une libre circulation des informations sur la toile, ils font opposition à une société qui revendique une totalité de la vie privée. De leurs emails à leurs relevés de banque, chacun peut accéder à tout type de contenus. Bien que le duo d’artistes aurait souhaité un partage à vie, ce projet, commissionné par le Walker Art Center fera transiter son dernier giga en 2003.

Dans une interview par l’artiste et écrivain Paul Soulellis, ils reviennent sur le rôle du public et le sentiment voyeuriste qu’il éprouve.

Une archive complète de Life sharing (2000-2003), dont le titre fait référence au « file sharing », reste accessible en ligne lifesharing.rhizome.org

Exposition en zone interdite

Également engagés dans des expositions collectives, Eva & Franco Mattes prennent part en 2015 au commissariat du projet Don’t follow the wind, avec le collectif d’artistes japonais Chim↑Pom, à la mémoire de la catastrophe de Fukushima. C’est dans la zone interdite que les œuvres sont exposées, mais inaccessibles au public, attendant de pouvoir être vues lorsque la décontamination sera totale. Lire la suite de la présentation du projet sur makery.info

Eva & Franco interviennent aux côtés d’artistes comme Trevor Paglen, Nobuaki Takegawa, Meiro Kuzumi, Aiko Miyanga etc… Dans leur projet, intitulé Fukushima Texture Pack (2016) soutenu par Creative Capital, ils s’approprient des images prises dans la zone d’exclusion : parquet, tatamis, herbes…qu’ils numérisent et rendent accessibles en ligne gratuitement. Ces textures sont destinées ) être utilisées par des individus aux profils très divers, que ce soit des designers, des architectes, ou même des enfants. Ils matérialisent également ces clichés en installation des cadres de plexiglass dans les zones d’origines de ces éléments.