Filip Sterckx, l’intensité poétique du micro-videomapping | Interview
Directeur artistique du studio d’animation Skullmapping (Louvain), Filip Sterckx présente, dans le cadre de la Biennale des cultures numériques Transnumériques et son exposition Ecritures Numériques au Musée L de Louvain-la-Neuve, l’installation vidéo My Orca. Rencontre et portrait de cet artiste qui n’a pas fini de nous transporter dans ses histoires poétiques.
Filip Sterckx a d’abord emprunté la voie de l’animation en étudiant à l’Ecole Supérieure des Arts Saint-Luc à Bruxelles. Il se souvient de ce cours expérimental, véritable point de départ de son intérêt grandissant pour le mapping. A l’époque, il s’amusait avec des projecteurs de diapositives pour créer des séquences d’images qu’il projetait sur des sculptures ou des objets. « J’aimais beaucoup l’esthétique que rendait les projections combinées à une animation en stop motion » nous explique l’artiste. De fait, cela l’inspire et il intègre vite cette technique dans le processus de création de ses films. Son projet de fin d’études mêle ainsi une projection image par image et une sculpture en argile.
Mais à quoi bon projeter une image 2D sur un objet en 3D pour ensuite le repasser en 2D pour en faire un film ? Filip Sterckx se questionne et regrette de perdre l’élément 3D : « J’ai alors commencé à présenter mon travail comme des installations artistiques, qui combinaient projections de vidéo et d’animation sur des sculptures”
Lorsqu’on lui demande comment il décrirait son œuvre, Filip évoque tout de suite certains thèmes : le storytelling, la présence de personnages, une attirance pour les esthétiques sombres, et le lien immortel avec l’enfant que l’on garde en nous. L’eau est aussi un élément qui le fascine. Mais ce qui anime surtout le créateur-chercheur, c’est de provoquer la surprise, de transporter le spectateur dans un moment magique, de transformer des éléments réels en expériences surnaturelles.
Skullmapping, c’est donc une rencontre avec Antoon Verbeeck, alors même qu’il finissait sa dernière année d’étude et présentait son installation Vesalius Revisited au théâtre anatomique de Louvain. Charmé par le projet de Filip Sterckx et la beauté du théâtre, ce peintre figuratif qui avait à l’époque installé son atelier de peinture dans le théâtre, propose de projeter sur les murs intérieurs du bâtiment. Les deux complices partagent les mêmes intérêts pour les personnages et les histoires. Si au début ils ne travaillaient ensemble qu’occasionnellement sous le nom de Skullmapping, ils s’y consacrent désormais à plein temps et collaborent même avec deux personnes supplémentaires qui les aident à créer les animations.
Filip Sterckx reste très attaché à ses créations personnelles, et l’on sent qu’elles sont intimement liées à sa propre histoire, des moments forts qui ont marqué son passé. Lorsqu’on le questionne au sujet de My Orca, il se replonge dans un souvenir d’enfant.
Mon grand-père avait ouvert un club de natation où j’avais l’habitude d’aller deux fois par semaine pendant toute mon enfance. Je suis ensuite devenu plus tard professeur de natation et j’apprenais aux enfants à nager. Être dans l’eau était quelque chose de totalement naturel et avait toujours ce pouvoir d’attraction sur moi. Etant petit, mon rêve était de nager avec les orques, et j’esayais de mettre un peu d’argent de côté pour pouvoir un jour m’acheter un billet d’avion et les voir en vrai. Jusqu’à aujourd’hui je n’en ai jamais, mais j’avais envie de transposer cela dans mon travail artistique. Alors je me suis dit que ce serait une belle idée pour réaliser mon rêve d’enfant, d’une manière virtuelle en quelque sorte, de créer une installation. Pour cela, j’ai réalisé un scan 3D de mon corps et l’aie ajuster afin d’avoir les mêmes proportions que lorsque j’étais moi-même enfant. Je me suis ensuite amusé avec chacun des mouvements en utilisant ce procédé afin que le petit garçon que vous voyez ait mon corps et mes mouvements.
Dès son plus jeune âge, il confie qu’il s’imaginait souvent transporté dans un monde fictif avec ses jouets, qu’il garde en mémoire comme un des nombreux souvenirs agréables qu’il ne voudrait pas oublier. Il admire la facilité déconcertante qu’ont les enfants à inventer des histoires, à se plonger dans des mondes parallèles, à s’émerveiller. Et il sait que ces récits d’enfance en touche plus d’un. Comme cette fois où il a reçu un mail d’un homme d’environ 80 ans qui « tenait à lui dire que son installation “Peepshow” présentée à la collection RTBF à Bozar lui avait remémoré des souvenirs d’enfant et lui avait fait monter les larmes au yeux.”
A l’entendre et au vu de certaines œuvres (King Sprong par exemple), on suppose aisément que le cinéma est une source d’inspiration constante. Filip Sterckx le confirme, le cinéma le touche, et ajoute que sa pratique du mapping puise dans les techniques de réalisation de films « du scénario au storyboard, à la prévisualisation, de la direction d’acteurs pour les captures de mouvement à l’éclairage dans le logiciel 3D etc…” qu’il a appris.
Il cite quelques réalisateurs qui l’influencent, notamment par leur capacité à faire quelque chose de nouveau à chaque nouveau projet « Alejandro Innaritu ‘Birdman’, Alfonso Cuaro ‘Children of men’, Michel Gondry “Eternal sunshine of the spotless light”, mais également Yoan Lemoine, qui en plus de faire d’excellentes vidéos, fait de la musique en tant que Woodkid ou Chris Cunningham et sa collaboration entre autre avec Aphex Twin. »
Lorsque la diffusion du projet Petit Chef se répand de façon virale et fait le tour de la toile, c’est le moment idéal pour Filip Sterckx et son acolyte ; leur passion et leur énergie investie portent enfin leurs fruits sur le plan financier. Le succès de Petit Chef les projette au rang international et leur ouvre de nombreuses portes. C’est également une opportunité pour investir dans leurs propres projets tels que Gallery invasion, Cocktailfactory et les six plats de l’expérience de diner “Le Petit Chef in the foodsteps of Marco Polo”. Cet engouement de la part du public pour Petit Chef, Filip Sterckx l’explique notamment par l’intégration du personnage et de l’histoire, qui vient faire la différence par rapport aux précédentes projections sur table du collectif, au caractère plutôt abstrait. Ce facteur humain, il le revendique et se félicite de se distinguer de pratiques plus ordinaires de mapping.
Je persiste à croire que le facteur humain est très important, et il est présent dans tout ce que je fais, particulièrement lorsque je le compare à d’autres artistes numériques, dont le travail donne parfois l’impression d’avoir été réalisé par des machines et non pas par des hommes. Lorsque je me rends à des festivals ou conférences sur le mapping, c’est intéressant de voir les parcours très hétéroclites des artistes. Architecture, design graphique, ingénierie, très peu sont issus du cinéma ou de l’animation, alors que, selon moi, le mapping se rapproche davantage d’une expérience cinématographique, puisque le public est plongé dans le noir et regarde une projection à grande échelle.
Cette projection à grande échelle, sur des facades ou bâtiments était le terrain de jeu de départ de Skullmapping. Mais le collectif se rend compte très rapidement que ce langage n’est pas le sien et se tourne vers des projections plus réduites, dans des cadres plus intimes, où l’approche poétique a toute sa place. Cette expérience avec un public restreint a un deuxième avantage : le matériel ne doit plus être loué puisqu’il coûte moins cher. « Cela nous a donc permis de nous équiper pour faire des tests au cours même du développement des projets, et de développer des installations permanentes, comme nous l’avons fait avec Petit Chef dans certains restaurants » se réjouit Filip Sterckx.
Cela n’empêche pas le collectif de participer, comme il l’a fait récemment au Light Festival de Gand, à des festivals de grande envergure. Skullmapping a alors à coeur d’aller au delà du divertissement. Avec Urban Safari, il adopte un ton plus engagé, en faveur de la protection des animaux et tente, selon les mots de Filip Sterckx “de ramener ces animaux à la vie, sous une forme numérique, pour rendre cette catastrophe plus tangible et voir réellement ce qu’on a déjà perdu ».
Epoustouflé par la puissance de l’immersion permise par la VR et la possibilité d’une autre réalité et donc d’une autre histoire, Filip Sterckx a aussitôt eu “envie de développer un projet pour ce nouveau média qui ne consiste pas seulement en une expérience audiovisuelle mais qui inclut également des odeurs, le toucher, des gouttes d’eau etc”. Il assimile cette expérience à une performance. En effet, The Styx est une expérience individuelle de 10 minutes qui combine une plongée dans un monde fictif pendant que deux performeurs font intervenir, de manière synchronisée avec la vision du public, des éléments réels. L’émotion procurée par cette expérience est selon lui démultipliée, en témoigne cette dame, qui a fondu en larmes en retirant son casque. L’artiste trouve tout de même dommage que l’expérience ne puisse être partagée et vécue qu’à travers un casque.
On comprend donc bien que les explorations artistiques de Filip Sterckx font la part belle au storytelling, que l’artiste défend une expérience du spectateur puissante et touchante et que ce quelque chose d’infantile dans ses oeuvres laisse rarement son public indifférent.
Pour Transnumériques 2018
Propos recueillis par Joanna Godet