Disnovation et Cabinet de curiosité | par Régis Cotentin

By jac_TN2018 on 5 mars 2018 in blog
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Disnovation

Nous sommes redevables au philosophe Gilbert Simondon d’avoir relativisé, dès 1969, la neutralité des technologies parce que, « ce qui réside dans les machines », écrit-il, « c’est de la réalité humaine, du geste humain fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent »[1].

À l’heure de la disnovation, les artistes, au cœur des débats sur l’authenticité des images, questionnent désormais le numérique en regard de l’histoire de l’art et des idées. Comme le précise le théoricien de l’art Hans Belting, « aujourd’hui, les nouveaux médiums apparaissent souvent comme des masques de médiums plus anciens. […] Même les technologies les plus avancées du monde numérique continuent à produire des images qui sont agencées en fonction des capacités d’intuition de nos habitudes visuelles. »[2] Autorisant à l’infini la synthèse des modes de représentations existants, l’ère numérique fait continuellement appel à nos références culturelles, qui interrogent l’imitation du réel. D’où la nécessité, au cours de cette intervention, d’analyser les racines his- toriques, artistiques et esthétiques des

« nouvelles technologies » de représentation, d’étudier le digital en relation avec les traditions artistiques parce que, comme l’écrit le professeur Pierre Barboza, « les techniques numériques de l’image s’inscrivent en continuité des techniques de reproduction de la réalité par l’image. »[3] Pour cette raison, je relie le numérique à la longue histoire des arts, en remontant le temps jusqu’aux premières expressions de la création humaine, pour démontrer que les nouvelles technologies actualisent des procédés créatifs historiques et revivifient d’anciennes conceptions anthropologiques de l’art. Le passage de l’analogique au numérique – ironie de l’histoire – révèle plus de la boucle que de la révolution, démontrant par la même occasion que le digital s’inscrit dans une histoire plus longue que supposée.

 

Cabinet de curiosités numériques

Cet effet de boucle temporel est fascinant parce qu’il démontre aussi que la simulation numérique est capable d’enfanter d’une nouvelle forme d’incarnation, tels que l’expose le Cabinet de curiosités numériques. Les procédés numériques n’ont rien à voir avec les techniques traditionnelles de représentation, le dessin, la peinture, la sculpture. Le digital désigne au contraire des algorithmes et des interfaces parfaitement indifférents aux contenus traités comme une suite de données. Mais il est possible grâce aux logiciels de faire œuvre de création comme un peintre et un sculpteur. Le temps des images électroniques est celui de la concomitance spatiale et temporelle de différents éléments présents à l’image. Il ne s’agit pas seulement d’instantanéité photographique, de durée cinématographique et vidéographique mais de différents types de fragmentation du temps synthétisés dans la compression numérique. « Avec cette émancipation », pour reprendre les mots de Pierre Barboza, « le numérique ouvre moins une nouvelle période dans l’histoire des images qu’elle n’y réintroduit la liberté de l’imaginaire et le régime de la représentation »[4], renouant, avec la tradition multimillénaire des images.

Régis Cotentin pour Transnumériques #6

[1] Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier-Montaigne, 1969, p. 12
[2] Hans Belting, La vraie image, Paris, Gallimard, 2007, p. 28
[3] Pierre Barboza, Du photographique au numérique, La parenthèse indicielle dans l’histoire des images, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 14
[4] Pierre Barboza, Du photographique au numérique, La parenthèse indicielle dans l’histoire des images, op. cit., p. 113

 

Commissaire d’exposition, chargé de la programmation arts contemporains au Palais des Beaux-Arts de Lille, Régis Cotentin a développé, depuis une vingtaine d’années, une œuvre visuelle fantasmogorique et onirique qui privilégie le lien entre les images en mouvement avec les musiques électroniques et contemporaines ouvertes (collaborations avec Scanner, David Shea, DJ Olive, Jean-Paul Dessy + Musiques Nouvelles et plus régulièrement avec Paradise Now). Ses installations et performances ont été diffusées dans plusieurs musées, festivals et lieux internationaux. En 2017, il a obtenu un doctorat à Paris-Sorbonne, intitulé Du simulacre numérique ; les images digitales au défi du vivant.