[Les arts digitaux sont aujourd’hui au cœur de la production artistique, avec pour atout majeur l’interdisciplinarité. Pour autant, cette forme de création très ancrée dans nos modes de communication actuels, souffre encore d’un manque de reconnaissance des institutions dites « classiques ». Bien décidés à faire parler d’eux, les arts numériques sont soutenus par diverses associations qui, au travers d’évènements et autres modes de diffusions, permettent le développement et la subsistance -parfois difficile- de ces nouveaux modes de créations. C’est ainsi que nous nous retrouvons à Mons, capitale Européenne de la Culture 2015, qui accueille régulièrement la biennale Transnumériques, organisé par le Centre des cultures numériques et sonores Transcultures.]
C’est avec pas moins d’une soixantaine d’artistes issus des quatre coins du globe que le festival présente les dernières productions digitales, aux médiums parfois radicalement différents mais tous liés autours d’une pratique utilisant les technologies actuelles. Un pèlerinage artistique au travers de différents nouveaux lieux et déjà emblématiques de Mons (le Manège de Sury, ou encore le Café Europa pour n’en citer que deux), appuyé par des conférences menées par des théoriciens sur les nouvelles formes de médias et d’art (notamment Phillipe Baudelot, au sujet des arts immersifs) permet ainsi aux spectateurs -aguerris ou non- de s’informer tout en contemplant un vaste paysage d’oeuvres numériques contemporaines.
Dans le GIF du sujet
Représentatif de la tendance actuelle, Transcultures ne manquent pas de rappeler que le GIF-Graphic Interchange Format revient en force, avec par exemple la nouvelle fresque de Mert Keskin aka Haydiroket (Turquie) créée pour le projet GifWall1 (2015) qui utilise le GIF comme medium de création, pour composer un tableau de la nouvelle génération totalement animé, qui évoque les techniques de composition photographiques d’Andreas Gursky, et l’esthétique CD-ROM des années 1990. D’un autre côté, Jacques Urbanska présente <iframes> (2015), qui remixe plus de 2000 œuvres présentes sur le web en temps réel pour produire un GIF sur écran géant(1).
Bien que très connu du grand public, le GIF était depuis quelque temps tombé dans les oublis, supplanté par de nouveaux formats d’animation web plus performants, comme le Javascript. Esthétiquement assez faible, il est intéressant d’observer comment le GIF peut être utilisé artistiquement, pour créer de nouvelles pièces fortement en prises avec le net art et dialoguant avec les représentations classiques, en ce sens qu’il nous rappelle les tableaux de compositions muséales.
Croisements et déviations technologiques
À l’inverse, certains artistes se servent de technologies plus avancées dans leurs processus créatifs, permettant de revisiter différents supports comme la vidéographie ou encore l’installation. C’est ainsi que le Brumascope (2015, lauréat du Prix Vidéographies) d’Arthur Baude vient bousculer le 7ème art en proposant son imposant dispositif issu d’une recherche sur l’image et la lumière. Bien que l’écran de brume doivent se regarder de face, notre curiosité est rapidement attirée par la machine « infernale » productrice de la brume qui affecte et génère la vidéo rétroprojetée au mur.
Touchant du doigt la notion de temps réel, le médium est ici renversé puisqu’il ne s’agit plus d’une empreinte lumineuse capturée pour être visionnée, mais plutôt d’une empreinte façonnée par la lumière projetée dans l’aléatoire de la nébuleuse pour un rendu tout aussi fluide que la solution aqueuse stockée dans les réservoirs du dispositif qui est à la source de la brume. Cette mécanique propose ainsi une dérive de la mouvance générative, avec cette fois un support physique qui donne un aspect hautement plus vivant et palpable qu’un simple aléatoire algorithmique.
La cité sonore
Avec Transcultures, les arts sonores ont une place très importante(2) dans le milieu des arts numériques, au profit d’artistes musiciens qui explorent et expérimentent les medias auditifs. Souvent lié à la poésie, la pièce audiovisuelle Choeur(s) (2015) du Québécois Simon Dumas, convie les spectateurs à se mouvoir dans une pièce étriquée remplie de projections de différents poètes lisant des parties de leurs œuvres, le tout accompagné par une synthèse sonore enregistrée à partir d’une session en live.
Le croisement des pratiques permet ici d’obtenir un espace lyrique interpellant, dans lequel le spectateur est totalement immergé, mettant en avant les analogies entre musique et discours poétique. D’autres expériences sonores ont aussi été proposées, à l’Alhambra, le club rock-électro montois, comme une performance d’Arnaud Rebotini (France) en live sur des synthétiseurs analogiques pour fêter joyeusement la fin de Mons2015, Capitale européenne de la culture.
Activités pour l'interactivité
Les arts interactifs sont omniprésents dans la pratique numérique, permettant d’introduire le public dans le processus créatif et ainsi façonner des pièces inédites changeant en fonction de l’expérience de l’utilisateur. Bloom! (Work in progress) de François Zajéga est le prototype d’une recherche entre l’artiste et l’Institut Numédiart, basé sur un programme dédié à l’analyse de mouvement (Motion Machine). Il propose au spectateur de se mouvoir -ou non- pour activer différents algorithmes qui favoriseront la pousse, à l’écran, de plantes distinctes. L’expérience est ici purement individuelle et permet de développer sa propre flore personnelle.
L’idée d’intégrer des notions de croissance « naturelle » dans un processus numérique présente une nouvelle façon d’appréhender l’interaction qui, au-delà d’une certaine naïveté, nous rappelle à nos instincts les plus primitifs. Plus oppressante, Occulte est le fruit de la communion entre différents jeunes artistes franco-belges issus des écoles partenaires la Villa Arson (Nice) et de Arts2 (Mons) qui rentre dans le cadre des Emergences Numériques(3). À l’aide de capteurs de mouvements et d’un œil projeté au mur, il ce gros oeil invite le spectateur à échanger des regards avec la machine qui observe et suit ses déplacements.
L’ambivalence du projet, plaçant l’observateur en sujet observé, provoque en nous un sentiment de surveillance très caractéristique de notre époque et qui pose une nouvelle réflexion sur l’interactivité : Qui observe regarde (éviter la répétition d’un même mot) qui ?
Une plateforme collaborative de lancement pour les jeunes talents
Fort d’un lien avec les institutions scolaires artistiques, les Transnumériques ne sont pas seulement l’occasion de promouvoir des artistes déjà professionnels, mais aussi d’encourager la nouvelle génération de jeunes étudiants afin que leur travail puisse être présenté dans un cadre identique à celui de leurs semblables diplômés. On retrouve ainsi Remaniement (2015), un projet vidéographique de Dimitri Baheux (étudiant à Arts² en Belgique) qui propose à travers quatre écrans rectangulaires d’inverser l’impact entre situations minimes et évènements importants. Rappelant des notions de fatigue informationnelle(4), le son vient accentuer ou déforcer une action, procurant une forme d’intérêt pour ses évènements insignifiants.
C’est donc un réel point positif de voir émerger des artistes en cours de cursus, et ainsi de favoriser le développement à long terme de la branche des arts numériques, toujours en marge des institutions classiques.
Maxence Tombosco
1- Projet lancé par Jacques Urbanska en collaboration avec Transcultures, qui appelle les artistes sélectionnés à créer une fresque constituée de GIF, qui sera alors projetée dans les espaces partenaires.
2-Rappelons ici le festival City Sonic, axé sur les arts sonores et qui se déroule tout les ans en septembre, à Mons, proposant expositions, concerts et différents ateliers.
3- Programme initié par Transcultures dans le but de promouvoir des projets d’étudiants issus de différentes écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou encore de l’Europe.
4-Notion introduite par le philosophe Byung Chul Han, qui explique qu’un flux d’information trop important persécute notre capacité de jugement et d’analyse.