Cet article fait partie d’une série de textes réalisés par des étudiants de l’ESA Saint-Luc, dans le cadre des cours donnés par Philippe Franck, directeur des Transnumériques.
En cette fin année au multiple de 5, a lieu le rassemblent du festival Transnumériques, qui nous propose avec la rigueur et l’apaisement que nous offre l’informatique dans sa logique implacable, une vision décalée, décortiquée, réappropriée du monde du numérique qui prend de plus en plus de place dans notre société.
Dans une culture qui tend à s’ancrer d’avantage dans le multimédia, il coule de source que les artistes suivent, voir même plutôt soient à l’avant garde de cette nouvelle culture. Marchant sur les traces des premiers performers composant avec les balbutiements du numérique, les artistes d’aujourd’hui cherche continuellement une nouvelle approche de ce nouveau média et cette nouvelle conscience qui n’est qu’adolescente. Que pouvons nous observer de la nouvelle approche créatrice du numérique ?
Si les premières performances concernant l’informatique ont été produites sur les premiers modèles accessibles qu’offrait la technologie, le résultat et la réflexion ne se limitait pas à celle-ci. Offrant une réflexion dé-constructrice, voire inversée des différents cas exposées, l’analyse de ces auteurs était déjà bien ancrée dans une nouvelle époque propre au questionnement de l’art lancé par le Dadaïsme. Commençant par la singularisation du rapport entre l’homme et ce nouveau média, nos créatifs contemporains penchent désormais sur le rapport du numérique à notre société, notre style de vie, et continuant sur la lancée de notre rapport à une technologie qui se fait chaque jour plus présente et plus puissante.
Le premier pas dans ces Transnumériques 2015 sera avec l’oeuvre d’Alice Jarry et Vincent Evrard, intitulé « Lighthouses » consistant en une installation d’un cercle de débris de verre dispersés au sol, et remués aléatoirement par des branches robotisées disposées en forme d’horloge sur l’installation.
Les réactions robotiques sont stimulées par la lumière et le son de l’oeuvre elle-même, constituant un micro-système s’influençant lui même. Le rapprochement à notre société est aisée : du verre remuant du verre, au rythme d’autres bouts de verres, eux-mêmes obéissant aux réactions de l’agencement global, nous sommes face à une représentation d’un monde qui se cherche un ordre et une stabilité à chaque instant.
Un enchaînement inter-dépendant nous montre ici le côté superflu et orgueilleux de notre système de pensée et de notre fonctionnement sociétal. La lumière et le son ne sont plus seulement des éléments aléatoires qui apportent du changement, mais reflètent une hiérarchie éphémère et au semblant dérisoire. Du verre robotisé remuant du verre coloré, le côté hypnotique d’une telle micro-activité et la danse ininterrompue nous ferait presque oublier que nous observons un monde apparemment frivole, pendant qu’un géant armé d’une loupe pourrait faire de même nous concernant.. Cela n’a t-il d’ailleurs jamais été une des craintes de l’humanité ?
Mais rentrant un peu plus dans cette micro-société qui s’emporte dans son propre élan vers le numérique, au travers de l’installation de Fabien Zocco, « THREADS ». Des ordinateurs disposés aléatoirement dans la salle génèrent chacun des messages pré-enregistrés et envoyés automatiquement sur des adresses mails et cherchant à faire naître un contact avec un correspondant humain.
Si la performance peut sembler simple à première vue, la seconde lecture est nettement plus complexe et ouverte. La plus simple étant la copie conforme de ce que l’on retrouve sur internet depuis nos ordinateurs personnels, le contact avec des programmes informatiques automatisés visant à créer un lien avec tout utilisateur du web. La dépersonnalisation ne semble pas loin devant les programmes automatisés, ou « bots » les plus insistants, visant à créer un rapport d’attraction, d’appâter l’individu devenu consommateur ou possible victime d’arnaque. Cette menace comprise et évitée par les confirmés de l’utilisation du net ne l’est pas autant pour tout ceux qui n’ont pas appris à composer avec ce rapport informatisé qui se cherche une authenticité factice. La base de ce système de bots véreux ou inoffensifs a fait son entrée avec l’expansion de ce nouveau milieu qu’est le numérique et l’hyper-communicabilité. L’immensité de ce nouveau territoire a rendu nécessaire le développement de ce nouvel acteur sur la scène de théâtre qu’est le réseau autrefois conçu pour rapprocher les hommes via la machine, la voilà désormais parmi nous. Une représentation de l’automatisation et de la récolte des données pour créer un être à part entière jouant avec nous tel une marionnette, est le programme « Cleverbot ». Véritable banque de donnée alimentée par les expériences verbales avec les utilisateurs, il est passé du bot aux quelques répliques, à celui disposant d’un énorme répertoire de dialogue simulant une personnalité.
Mais quid des bots de moindre programmation ? Ils peuplent toujours plus la population du net et on changé le rapport de partage entre l’individu et l’outil devenu les prémices de l’intelligence artificielle.
La vision analytique et critique que l’on pourrait avoir de notre société et de notre approche du numérique a beau être justifiée, elle n’en est pas moins cynique. C’est du moins ce qu’elle aurait pu rester sans des oeuvres telles qu’une des vidéos numériques proposées par Gabriel Soucheyre, directeur du festival de référence en art vidéo et cultures numériques Vidéoformes (Clermont-Ferrand), comme « Light Motif », de Frédéric Bonpapa, réalisée en 2014. Réalisée à la base en collaboration avec 18 musiciens, cette vidéo qui a reçu le Prix Ars Electronica, relève d’une volonté de mettre en lumière la relation entre la musique du compositeur Steve Reich et les arts visuels. Un macaque calme et curieux observe autour de lui des vas et viens de nombreuses billes de verre entre de nombreuses formes géométriques simples ; et changeant régulièrement de couleur et de reflets sous une rythmique sonore allant crescendo.
L’impact des billes sur des obstacles, elles- mêmes et autres formes géométriques légères tiennent d’avantage du ballet que du chaos qui pourrait résulter d’un tel lâché de billes, et le caractère paisible du singe et son apparente réflexion nous incite au mimétisme dans cet environnement savamment préparé pour un spectacle son et lumières envoûtant. Les réactions et mouvements toujours plus actifs des billes au rythme de la musique et aux couleurs changeantes vont en contradiction avec l’animal observant leur manège, qui propose une autre vision de l’observateur sur un système en constant mouvement ; passant de la critique et l’interprétation à la contemplation du milieu qui nous est offert, trouvant une harmonie au sein de l’amas de vie, au lieu d’une hiérarchie ; tendant d’avantage vers le naturel et la symbiose que l’ordre et la stabilité tel que le penserait l’homme.
Le dialogue visuel harmonieux de l’expérience nous empreint d’un autre point de vue, plus optimiste et drastiquement plus chatoyant que pouvait l’être la première expérience.
Au travers de ces oeuvres, les visions des performers ont emprunté des attitudes différentes, se voulant pastiche, reflet, ou simplement optimiste. L’homme semble à la recherche de milieux semblables au sien, et si il n’en trouve pas, en crée, jusque dans ses dernières trouvailles, y instaurant la stabilité et l’ordre qui semble faire partie d’un automatisme inhérent à l’espèce. Les visions d’artistes tendent à toujours mettre en lumière les automatismes et acquis, quels qu’ils soient, de nous-même, bien que l’approche du questionnement soit différent. Ainsi la réinvention de l’art est-elle désormais dépendante de la critique et de l’émerveillement ? Il est encore trop tôt pour le dire. Les mouvements artistiques se sont succédé toujours rapidement, et les nouveaux médias commencent à peine à fournir des interprétation prometteuses de ce que pourra être notre rapport avec le numérique. Peut-être avons nous chacun notre interprétation à apporter à ce médium qui se veut celui de la communication et du partage entre les individus ?
Cette hyper-communicabilité qu’illustrent, de manière personnelle, les œuvres de ces Transnumériques 2015, est un nouveau genre de partage au sein de l’espèce humaine, tout comme le fût pour nous tous à notre naissance, notre premier contact avec nos semblables.
Nous apprendrons…
Alexandre Leroy