Focus sur les Transnumériques @ Mons2015 par Yann Le Saint

Focus sur les Transnumériques @ Mons2015 par Yann Le Saint

Cet article fait partie d’une série de textes réalisés par des étudiants de l’ESA Saint-Luc, dans le cadre des cours donnés par Philippe Franck, directeur des Transnumériques.

Dans le cadre de Mons2015, Capitale européenne de la culturel, a eu lieu du 27 novembre au 12 décembre, la cinquième édition du festival Transnumériques Petit tour d’horizon de son exposition et de la conférence de Philippe Baudelot à Arts2 qui y était également associée le 8 décembre.

Philippe-Franck-2013_TransculturesLe festival des Transnumériques fête cette année ses dix ans à l’occasion de cette riche cinquième édition. Dix ans que son directeur, Philippe Franck, nous propose avec son équipe de Transcultures, tous les deux ans, une sélection d’installations, de conférences et de rencontres toujours à la pointe du développement des cultures numériques. Et cette année ne fera pas exception à la règle : elle aura même été fêtée en grande pompe. Philippe Franck, également commissaire artistique de l’expo Emergences numériques, nous ouvre les portes pour une visite guidée.

Situé dans le manège de Sury (anciennement utilisé par la Protection civile), l’exposition « Emergences numériques » s’articule autour de divers œuvres d’artistes issues de milieux et d’horizons divers : œuvres d’étudiants (dont l’école Arts²-Mons, et la Villa Arson-Nice) aussi bien que les gagnants de divers concours (notamment le lauréat du concours d’installation interactive avec l’association Vidéographies de Liège) ou groupement d’artistes divers (dont les Québecois de Rhizome) ou festivals partenaires (dont Vidéoformes à Clermont-Ferrand).

L’exposition s’ouvre, dans le hall d’entrée du Manège de Sury, sur une œuvre des plus intéressantes : phAUTOmaton. Quoi de mieux comme entrée en matière que de se faire prendre en photo ? Philippe Boisnard nous livre ici une œuvre participative où le visiteur est invité à s’asseoir dans un photomaton puis à taper sur un clavier un mot ou bien un petit texte. Les deux seront ensuite recoupés et le produit final est une reproduction de la photo à l’aide des caractères du texte. Cela rappelle un peu ces dessins faits en ASCII. Ce montage est ensuite transmis à un site internet, évidemment consultable par tous. Cette œuvre met sympathiquement en rapport la pensée et les gens, faisant une espèce de lien entre la description visuelle d’une photo et celle, littéraire, d’un roman. Comme quoi, « mettre des mots sur une image » ce n’est pas si compliqué.
A contrario de l’œuvre intimiste qu’est phAUTOmaton, on passe directement à une fresque psychédélique, digne des années 80 avec le GIFWall. Ce projet d’exposition itinérante lancée par Jacques Urbanska cette année se veut une espèce de tremplin d’artiste du web. À chaque exhibition de l’œuvre, un artiste sélectionné au préalable doit réaliser une fresque au format d’image « .gif ». Pour ce premier GIFWall en Belgique, l’artiste sélectionné est Haydiroket (aka Mert Keskin). Cet artiste turc nous livre ici une fresque aux couleurs chatoyantes, reprenant moult images de sculptures ou peintures de la renaissance, les mélangeant allègrement avec des images informatiques (curseurs, palette de couleurs…). On peut probablement y voir une allégorie du net, de ses pépites, de l’épilepsie que cette marée d’informations et d’images provoque… Mais tout ça est laissé au jugement du visiteur, bien sûr. Histoire de se remettre de ce spectacle visuel fantasmagorique, on reste agréablement dans une salle, un peu plus loin, avec une œuvre du collectif québécois Rhizome : Chœur(s). Située dans une pièce obscure, cette installation (imaginée par Simon Dumas) est composée de plusieurs piliers-écrans où, sur chaque face, l’on retrouve 9 poètes différents, qui se succèdent en lisant leurs textes, et avec eux, neuf autres artistes sonores. Se retrouver au milieu de ce melting-pot de poètes laisse une sensation des plus intéressantes, comme si l’on observait plusieurs spectacles en même temps, qu’on en prenait un bout ici, puis un autre bout ailleurs pour finalement revenir plus tard au premier qu’on regardait… Le spectateur est noyé au milieu d’un flot de paroles et de musiques. Et pourtant, le rythme poétique aidant, on trouve, au final, une certaine harmonie et on se laisse porter. On se prend à circuler entre ces piliers et à écouter ces paroles qui se réverbèrent entre elles, sur les murs, entre chaque tour-écran. On est noyé sous la variété des œuvres et pourtant, on comprend l’ensemble aussi. Une expérience à apprécier avec un minimum de personne dans la salle toutefois : l’effet n’en ait que plus saisissant.

C’est presque en transe que l’on ressort et que l’on continue à travers les couloirs voir les différentes pièces, chacune avec sa propre installation. Ici, le « Brumascope » (Arthur Baude), une machine qui s’inspire du théâtre d’ombres sauf qu’il a remplacé les mains humaines et les formes découpées par écran de nuage de brume, qui s’altère au rythme du son… En résulte sur le mur la projection de formes étranges qui s’animent et s’épanchent doucement. Cela rappelle cette autre forme d’art qui consiste à injecter de l’encre dans l’eau, on retrouve une esthétique très similaire, mais avec un effet cette fois-ci aérien, comme si la version aquatique n’en était qu’un reflet. Mais après tant de méditations, il faut qu’on bouge. « Bloom ! » est d’ailleurs parfait pour ça. Cette œuvre de François Zajéga nous rappelle l’essence même de la vie, le mouvement générateur de conséquences, de changements, d’évolution. Le spectateur, en rentrant, constatera que la salle est vide… sauf sur l’un des murs, où est projetée une forme humanoïde sous forme d’un amalgame de racine qui n’est pas sans rappeler le système sanguin. En évoluant dans la salle, il s’en rendra compte que non seulement la figure bouge comme lui, mais qu’à force de remuer, les racines/vaisseaux grandissent et que des feuilles poussent, de plus en plus grandes, jusqu’à se transformer en une grande plante à forme humaine. L’aléatoire de cette évolution et la magie inhérente liée à l’éclosion de la nature rendent l’expérience très ludique et interactive, nous rappellant bien, au final, qu’il faut se déplacer pour vivre.

Mais le temps file, et nous devons passer plus rapidement sur certaines œuvres pour être à l’heure à la conférence de Philippe Baudelot qui nous parle de l’immersion, source de plusieurs installations.

Dans l’auditorium de l’école d’Arts² nous attendait Philippe Baudelot, commissaire artistique français, consultant spécialiste en art numérique et conférencier. Le personnage, très sympathique, nous a fait, pendant une heure environ, une explication et une démonstration via des exemples de l’importance de l’immersion et de l’art immersif dans les arts numériques, ainsi qu’une définition de ceux-ci. L’art immersif est donc partie intégrante des arts technologiques, numériques avec pour particularité qu’il requière une présence (et une implication) physique et qu’il joue sur la perception, tant de l’artiste que du public. Que ce soit des groupes comme Granular Synthesis qui font signer des décharges pour risques d’épilepsie avant que les visiteurs ne rentrent dans l’espace d’installation, des expériences sur les membres fantômes ou tout simplement l’ambiance d’un jeu vidéo toutes ces œuvres requièrent l’implication du corps et de l’esprit du spectateur, parfois avec un risque. Mais le gain est à l’avenant, la personne se retrouvant transportée dans l’univers du créateur. L’un des exemples les plus saisissants qu’il présenta fut probablement la Satosphère. Ce dispositif gigantesque, située sur le toit de la Société des Arts Technologiques (SAT) à Montréal, est un dôme-écran d’environ dix-huit mètres de diamètre pour treize de hauteur, capable d’accueillir environ trois cent cinquante personnes et de diffuser son & images sur trois cent soixante degrés. La sensation d’immersion induite est similaire à de la 3D. Ce dôme est évidemment utilisé pour toutes formes de représentation visant à explorer et à approfondir l’immersion induite.

Les Transnumériques 2015 ont été une expérience très intéressante, impliquant fortement le spectateur dans ce qu’il regardait, expérimentait et creusant, questionnant cette notion d’implication lié à l’immersion. La conférence de Philippe Baudelot complétait de manière naturelle cette visite, laissant le visiteur dériver dans un océan de possibilités artistiques et numériques.

Yann Le Saint