Videoformes, du Video au Digital Age – Interview de Gabriel Soucheyre

Videoformes, du Video au Digital Age – Interview de Gabriel Soucheyre

Directeur/fondateur de Videoformes reconnu internationalement, depuis de nombreuses années, pour la qualité de son défrichage vidéo art et qui présente aujourd’hui également des oeuvres numériques, vidéaste, critique et enseignant, Gabriel Soucheyre est invité par Transcultures à la cinquième édition du festival Transnumériques pour présenter une nouvelle version de la performance et installation « mash up » Video_Age ainsi qu’une sélection de vidéos à caractère numérique et celle des lauréats de Videoformes 2015.

Il est aussi, à l’instar de Transcultures, un partenaire historique des Vidéocollectifs, initié par Natan Karczmar échanges de courtes vidéo entre plusieurs villes partenaires dont cette année, Mons, Clermont-Ferrand et Pilsen…

 

Videoformes-Gabriel-Soucheyre_Transnumeriques_Mons2015_Transcultures

Comment et pourquoi est né le projet Video_Age ? Comment s’est-il développé pour aujourd’hui être décliné sous forme de performance (avec musique live) mais aussi d’installation ?

A l’origine, il y avait le désir de faire évoluer le projet Cage Suite (installation et borne avec la participation d’une trentaine d’artistes à partir d’un jeu aléatoire de montage d’images et de sons dont chaque occurrence dure 4’33’) présenté pour la première fois à Videoformes, en mars 2013 et reconduit dans une version 2 en mars 2014. J’ai planché avec Alain Longuet et Stéphane Trois Carrés sur une nouvelle application nommée Video_Age de ce moteur de montage algorithmique. A l’occasion de la trentième édition de ce festival qui à traversé déjà tant d’époques historiques, il était question cette fois d’utiliser des segments vidéo spécifiquement sélectionnés pour leur capacité à évoquer l’histoire, les histoires des 30 ans, des années 80 aux années 2010.

Une première représentation, Video_Age 1.0 a été donnée en projection sphérique lors de la soirée d’ouverture de Videoformes 2015 place de la Victoire, au centre de Clermont-Ferrand et une autre, Video_Age 2.0, le 20 mars 2015 à l’Ecole d’Architecture de Clermont, sous forme d’un montage vidéo linéaire projeté sur trois écrans et accompagné d’une création sonore improvisée de VoCello (musique atonale, expérimentale) et de L’infrazone (duo basse/ batterie, d’influence plus rock).

La version algorithmique, Video_Age 3.0 (sous-titrée : « de l’art vidéo aux arts numériques ») a été finalisée à l’automne 2015. Elle proposera un montage image et son à variabilité programmée, dans la lignée des concepts déjà développés dans Cage Suite. Elle pourra se diffuser sous forme de spectacles performatifs ou d’installations à écrans multiples variant à l’infini. Son assemblage aléatoire permettra tous les rapports insoupçonnés entre images et images et sons.

L’idée de la performance, comme souvent dans un processus créatif est née du retard dans le développement du moteur et du projet en général. Dans un esprit très ”cage” ou ”cagien”, nous avons imaginé de confier la partition sonore à des compositeurs ou musiciens rompus à l’improvisation, parfois de mélanger des styles à priori opposés. A chaque fois, c’est une expérience et un plaisir tout neuf !

Je pense que si ce grand mash up d’archives intéresse aussi les jeunes générations, c’est parce qu’il parle de l’histoire des arts visuels et de l’image en mouvement des 60 dernières années, un héritage et un patrimoine sur lesquels se construisent la plupart des créations hybrides d’aujourd’hui. Le parcours historique, loin des documents habituels est ici retravaillé, décontextualisé, trafiqué, ne respecte pas forcément une chronologie rigoureuse.

Quelle place le volet archives vivantes prend dans les activités et missions que Videoformes se donne ? Est-ce d’autant plus important aujourd’hui à l’ère du tout numérique de rappeler, de manière créative, cette histoire vidéo et proto numérique là ?

Nous travaillons depuis l’avènement du web 2.0 avec des artistes ”indépendants” ou plutôt autonomes, pas de label, pas d’industrie, voire une économie très discrète. Il était donc important de penser à conserver des traces, d’où la création de nos archives numériques, les captations de ci delà selon le temps, les moyens. Je crois que de tout temps, pour progresser, il faut avoir la mémoire des expériences passées ; cela permet d’aller plus loin et de ne pas répéter les mêmes expériences.

Video_Age 1.0 @ Videoformes #30

Pouvez-vous présenter vous choix « coups de coeur » pour ces Transnumériques#5 (avec le lien aux cultures numériques) ? Et la sélection des lauréats Videoformes 2015 qui sera aussi présentée dans l’expo « Emergences numériques » au Manège de Sury à Mons ? Y-a-t il une ou des tendances qui percent dans ces œuvres ?

J’ai choisi des œuvres très récentes puisque toutes présentées à Videoformes 2015. Donc il y a là le choix d’un jury professionnel (dont Transcultures faisait partie cette année) plus une sélection ”maison” qui donne vraiment à voir les esthétiques et les thématiques de notre temps, la manière dont les artistes vivent ce temps et notre monde et nous le donnent à voir avec les outils numériques, comment ils nous le communiquent en s’appuyant sur des écritures innovantes. Les deux sélections donnent une vision large ou kaléidoscopique de la création actuelle. Je ne peux en détacher un de l’autre et parler de tendances sur une production limitée à deux années nous amènerait à commettre des erreurs. Finalement, c’est le temps et le recul qui décident. Je note cependant la réactivité des artistes sur les sujets comme les guerres, les catastrophes liées au comportement humain, les questionnements plus spirituels qui en émergent.

Videoformes comme Transcultures sont des fidèles compagnons de Vidéocollectifs, l’initiative « vidéo échangiste » de Natan Karczmar. Qu’est-ce qui t’attire dans ce projet et comment a-t-il évolué ces derniers temps ? S’échanger des vidéos entre des villes à l’heure des smartphones a-t-il encore un sens ?

Je pense que oui, surtout en gardant en mémoire les premières vidéos ; on perçoit des changements qui vont à une vitesse inimaginable naguère. Le format imposé est un exercice de style mais qui justement crée un lien très fort entre toutes ces productions et est très révélateur de l’état de notre monde.

30 ans de mix entre les arts à VIDEOFORMES

Vous participez au forum « From digital to culture » qui s’interroge, en ouverture des Transnumériques@Mons2015, sur la place et le rôle des arts et cultures numériques dans le développement des industries créatives aujourd’hui et demain. Quelle est votre position (et celle de Videoformes) sur cette mutation ? N’y-a-t il pas un risque que la spécificité artistique soit diluée dans une évolution qui met la dimension économique en avant ?

C’est le problème de la plupart des activités humaines. Ce qui effraie dans le numérique aujourd’hui, c’est qu’il est aux mains d’ingénieurs et d’économistes, chefs d’entreprises, etc. et ce qui frappe, c’est que la dimension humaniste en est absente ou presque, la création artistique en étant l’arbre qui cache la forêt. Il y a un enjeu, reconstruire ce monde numérique avec cette dimension qui est présente de plus en plus dans les recherches et publications liées au terme d’ Humanités numériques”.

Videoformes publie depuis plusieurs années un magazine de fond, « Turbulences vidéo » avec des dossiers thématiques (dont Transcultures et Natan Karczmar pour le dernier numéro), des essais et des chroniques. Quelle est sa politique éditoriale, sa place dans la vie de Videoformes et comment s’est-il développé ces dernières années ?

Au début, nous avons répondu à un besoin exprimé par les artistes : peu ou pas de retours critiques sur leurs productions, donc nous avons saisi cette approche et cela s’est développé lorsque l’attente d’autres professionnels tels que les enseignants d’arts plastiques est devenue plus forte, avec toujours cette volonté de Videoformes d’être un observatoire. De revue trimestrielle imprimée, nous sommes ”naturellement” passé à un format numérique, en fait nous en avons testés plusieurs pour parvenir à la formule actuelle, du numérique enrichi, pour le portrait d’artiste en particulier d’une interview vidéo bilingue.

Transcultures nov. 2015
Propos recueillis par Philippe Franck