Nous voilà dans le futur. Un futur où l’art s’approprie la fiction et l’onirisme pour plonger son public dans une réalité virtuelle capturant ses sens. Aujourd’hui le numérique traverse les différentes formes artistiques et englobe son milieu de sensations et de questions. Nous tenterons de comprendre ce nouvel art en usant des différentes informations recueillies lors de la conférence du sémiologue Philippe Baudelot et de l’exposition « Emergences Numériques » se déroulant à Mons, dans le cadre des Transnumériques, en décembre 2015.
Philippe Baudelot, éminent sémiologue et consultant en arts numériques travaille dans le secteur multimédia depuis déjà de nombreuses années. Il intervient beaucoup dans la création d’événements cherchant à faire connaître le numérique artistique notamment via « Le Printemps de La Dance » en Tunisie. Il est l’un des membres fondateurs du Réseau Arts Numériques (RAN.). L’exposition « Emergences Numériques » est accueillie dans la capitale culturelle pour, dans le même but que Mr. Baudelot, montrer l’ampleur de ce nouvel art hybride notamment via des oeuvres belges ou ayant collaboré avec Transcultures.
L’idée d’art immersif comme le stipule Philippe Baudelot, commence à germer dés l’Antiquité bien qu’elle ne connaîtra aucune évolution dans la grande fresque de l’histoire jusqu’au 18e siècle. Vers les années trente, des idées d’oeuvres immersives plus concrètent se mettent en place comme la pensée d’un théâtre circulaire avec Erwin Piscator. Le principe était de plonger le spectateur dans une bulle pour regarder le spectacle – malheureusement le projet fut abandonnée avec l’arrivée de la Seconde Guerre Mondiale.
Le mot « art » provient du latin « ars » et signifie « une manière de faire une chose selon certaines méthodes. » L’immersion signifie « plonger un objet dans un environnement qui ne lui est pas habituel », comme pour le baptême où on immerge un enfant dans l’eau. L’ « art immersif » est donc bien la création via l’immersion.
On pourrait reprendre l’analogie de notre conférencier et comparer l’art immersif aux trains fantômes dans les fêtes foraines. Le but de ces attractions étant de plonger le client dans un « semblant d’enfer » réaliste en usant de moyens techniques. On peut voir le rapprochement avec les oeuvres immersives qui visent à placer le public dans un univers tout aussi fictif mais en usant cette fois-ci de moyens technologiques et/ou numériques. L’onirisme prend sa place dans le réel. Ce genre de créations fait appel à l’engagement physique du public ou de l’artiste instigateur en jouant sur les dimensions spatiales et sensorielles de l’humain (la vue, l’ouïe, le toucher…) de la à même parfois risquer le bien-être de son auditoire avec des oeuvres hautement épileptiques (telle Zee de Kurt Hentschalger).
Lors de l’exposition, nous déambulions dans un monde irréel parmi de nombreuses oeuvres diverses. J’en retiens plusieurs remarquables comme Lighthouses – in conversation de Alice Jarry et Vincent Evrard, fruit de résidences croisées au Centre d’arts visuels et numériques La Chambre blanche à Québec puis chez Transcultures à Mons. Une installation évolutive mélangeant sons et lumières dans une ellipse de verres brisés avec des LED et des miroirs. Elle semble avoir pris sa vie en mains après sa création par le genre humain.
Il y a aussi Le miroir de la mémoire d’Alexander Ketele et Vincent Paesmans qui lie la sculpture et la projection pour un résultat qui délaisse le côté technologique pour l’illusion et la poésie. Le Miroir de la mémoire présente un plan d’eau reflétant les visiteurs et altérant l’image en temps réel avant de la projeter sur la surface conique du mur à côté tissant un lien entre le passé et le présent. On pourrait y déceler un parallèle avec le miroir de l’oracle de Delphes dans l’Antiquité créant un nouveau rapport inter-temporel.
Après cela, Phillipe Baudelot nous fait part d’autres projets immersifs durant la conférence. Nous découvrons une oeuvre de Todor Todoroff et Laura Colmenares – des artistes déjà bien reconnus dans le milieu de la création numérique – appelée Lungs – The breather. L’installation est un espace vide avec un bassin d’eau. Trois personnes sont assises aux abords du bassin avec un masque respiratoire. Le souffle des personnes à travers le masque modifie la musique ambiante et dessine dans le bassin d’eau des entités inconnues à la forme rappelant la méduse brillant dans les eaux sombres des bas fonds. Au fur et à mesure, les « respirateurs » stabilisent le travail en synchronisant leurs respirations.
Rain Room du collectif Raindom international est une installation qui plonge littéralement le visiteur dans la confusion la plus totale. Elle le pousse à marcher dans une salle ou une pluie diluvienne semble avoir pour seul but de tremper jusqu’à l’os ses visiteurs. Quelle surprise lorsqu’on se risque sous les jets d’eau que d’en sortir aussi sec quand on y est entré ! En effet, lorsque que l’on s’aventure sous la pluie de la Rain Room, elle cesse de tomber directement à l’endroit ou vous vous trouvez. Vous voilà waterproof, la pluie vous évite comme par magie et retombe dès que vous êtes partis. Vous aurez beau gesticuler dans tout les sens, si c’était une douche que vous vouliez ce ne sera pas possible ici.
Eric Joris et le collectif belge Crew introduisent ensuite dans une vidéo de démonstration le projet W(double U) qui a pris place à Barcelone et à Mons justement. Deux personnes dans chacune des deux villes mettent un casque couvrant leurs yeux et leurs oreilles. Retournement de situation, ils ne voient pas l’endroit où ils sont mais celui qu’est sensé voir leur correspondant. Par exemple, le participant belge pourra voir Barcelone à Mons et vice versa. Cet échange de point de vue force donc les deux « immersants » (personnes immergées) à collaborer pour réussir les injonctions dites par un « être extérieur » et le parcours mis en place pour l’expérience.
L’art immersif est un art plein de promesse et d’une beauté fascinante. Néanmoins, il ne travaille pas uniquement dans une optique esthétique ou technologique mais tend également à questionner notre société actuelle dont le simulacre n’est autre que la technologie même. Quel sera le futur de ce simulacre ? Comme et pour combien de temps allons nous pouvoir l’exploiter ? Telle est une des missions que nos artistes contemporains tentent d’élucider.
Alice Dontaine