Kaleidoscope numérique : curiosité lumineuse – Interview d’Eglé Vismantaite

Kaleidoscope numérique : curiosité lumineuse – Interview d’Eglé Vismantaite

Avec cette sculpture hybride, la jeune artiste lituanienne Eglé Vismantaite nous propose une mise en abîme et par là une nouvelle vision de la vidéo. C’est également une manière de sculpter la lumière et de mettre en avant, ou non, la curiosité du spectateur.

La sculpture nous évoque un objet étrange par sa forme homogène et discrète, mais en s’approchant on peut observer une faible source de lumière qui s’en échappe. La curiosité seule permet de découvrir le contenu de cet objet. C’est une façon de sculpter la lumière et de faire dialoguer sculpture, arts numériques et espace. Elle crée une histoire en mettant en opposition des jeux scientifiques et des jeux enfantins : un objet qui évoque à la fois un outil scientifique et un kaleidoscope ; un objet hybride qui offre une autre vision vers la vidéo en la mettant en abîme.

Eglé Vismanté est née en 1990 à Vilnius, Lituanie. Elle a suivi plusieurs formations en Art en Lituanie et en France. Actuellement étudiante en dernière année à l’ENSA Villa Arson, Nice, sa pratique mêle dessins et vidéos de fictions micro-narratives.

Kaleidoscope est un projet né du workshop initié par Transcultures Émergences Numériques entre Art2 à Mons et la Villa Arson à Nice.

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Conversation avec Eglé Vismantaite

Votre installation présentée lors de l’exposition Émergences Numériques, organisée dans le cadre du festival les Transnumériques, Kaléidoscope semble être au premier coup d’oeil une « simple sculpture ». Pourtant quand on s’en approche, une faible source de lumière s’en échappe. Découvrir pleinement votre création est alors affaire de curiosité. Souhaitez-vous, par votre démarche, remettre la curiosité au centre des préoccupations des visiteurs ? Réaffuter cette curiosité ?

Eglé Vismantaite : La curiosité est présente dans l’essence même de l’être humain et elle est donc présente dans chaque visiteur d’une exposition. C’est important, dans le contexte des événements actuels, de la réaffuter parce que seulement les plus curieux et motivés se déplacent alors il m’a semblé naturel de vouloir la provoquer un peu.

C’est une expérience personnelle, quasi voyeuriste et pour cela elle se démarque des lumières immersives qui occupent les grands espaces. Le choix de voir ou de-ne-pas-voir est libre et il est laissé au spectateur libre arbitre de le découvrir, ou non. Ce n’est pas seulement le lien avec des autres modes d’observation mais également un vertige des images scientifiques transformées et mise-en-abîme, mais c’est aussi le choix volontaire de l’expérience, et c’est ça qui m’intéresse.

Pourquoi ce travail sur la lumière ? Est-ce, dans votre démarche artistique, un point essentiel ?

Eglé Vismantaite : La question de la lumière est toujours présente dans ma pratique, même si elle existe sous des conditions très différentes, contrainte par la pratique de l’art vidéo et du dessin. La lumière est un matériau comme tout autre, destinée à être sculptée, formée, utilisée. Même dans les différents types de travaux, la question de la lumière est toujours à considérer, et cette installation possède une approche encore plus directe à la lumière.

L’installation Kaleidoscope a été produite dans le cadre de l’échange Émergences Numériques, comment avez-vous vécu ces workshops entre Arts2 à Mons et Villa Arson à Nice ?

Eglé Vismantaite : C’était une expérience riche et intéressante, pleine de possibilités pour découvrir du monde, l’art, l’espace(s) mais aussi échanger des expériences. Affronter les champs de compétences variés entre les différents étudiants était nécessaire et bénéfique. Et puis c’était la première occasion qui m’a permis de travailler avec d’autres étudiants en dehors de l’école.

Au début, c’était un travail de groupe qui a finalement abouti à différentes oeuvres indépendantes. D’abord nous avons tous travaillé sur la même idée de Cosmos : de quelque chose d’infiniment petit et d’infiniment grand. Pendant le workshop quelques membres du groupe se sont retirés et les projets restants ont été laissées là, à flotter « solitairement » dans les espaces d’exposition. Et comme des corps cosmiques, ils ont avancé pour devenir des projets séparés et ils ont tous encore des d’évolution.

Le workshop était donc une bonne occasion de travailler en dehors de la zone de confort habituelle, avec des gens qui ont des compétences et des champs de travail totalement différentes… avec des autres étudiants, artistes et techniciens. Bien sûr cela donne lieu à des visions parfois divergentes de l’art, mais c’est exactement ça qui rend les expériences plus intéressantes.

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Peux-tu nous dire quelques mots sur sur ce qui t’a amené à quitté ton pays, la Lituanie pour venir étudier en France ?

Eglé Vismantaite : La Lituanie est un pays relativement petit. Ce n’est pas une grande surprise si les jeunes partent pour étudier et travailler à l’étranger, parce que ce nouveau nomadisme brise les barrières et élargit les horizons, il donne des possibilités diverses, qui parfois n’existent pas sur place. Le monde de l’art est loin d’être un espace hermétique et il ne devrait de toute façon jamais être enfermé dans un territoire – surtout mental. Les échanges et les croisements sont nécessaires pour se battre contre la stagnation, spécialement dans un petit pays comme la Lituanie, qui a pendant longtemps survécu sous les conditions historiques difficiles.

Après d’avoir étudié en France pendant cinq années, il me semble que je vis comme une certaine chimère culturelle, partagée entre deux pays, deux cultures, mais je ne me sens pas obligée d’en choisir seulement une. Beaucoup d’artistes de mon pays (et des autres aussi) se déplacent et travaillent dans plusieurs lieux différents. Dans le monde d’aujourd’hui les différences peuvent être partagées et célébrées.

En même temps je vois beaucoup des nouvelles initiatives en Lituanie en train de se développer, car il y a toujours beaucoup de terrains en friche pour cela et j’espère que les événements transdisciplinaires vont sortir de l’underground sur des scènes de plus en plus grandes. De nouvelles initiatives me semblent très probables dans les prochaines années.

Quelle est votre vision du festival Transnumériques qui met particulièrement l’accent sur les « émergences » et les cultures numériques ?

Eglé Vismantaite : Cette exposition était un pas en dehors de l’espace habituel et institutionnel de l’école. C’était une occasion pour tâter le terrain, faire l’expérience de processus d’exposition, un challenge intéressant. Et j’ai été suis très enthousiaste face à l’image de la jeune création numérique que donne le festival et son orientation vers l’actuel -et potentiel- futur. C’est toujours un peu risqué d’être entre, -trans-, mais en même temps c’est un risque fascinant et prometteur. L’hybridation des arts et de la technologie est une création de nouvelles identités et de nouveaux terrains d’action.

Quels sont tes futurs projets ? 

Eglé Vismantaite : Les idées récurrentes de ma pratique se constituent d’un mélange de fiction, de science, de mémoire et d’histoire, qui se serrent en noeuds doubles et s’entrecroisent pour créer des « micro-narrations ». Je suis fascinée par les technologies rétro-historiques, celles qui sont déjà « obsolètes » on dirait, comme les Becher étaient fascinés par les formes des châteaux d’eau.

En tout cas, les formes diverses de la vidéo -et surtout de l’animation- sont toujours au centre de ma pratique. Le numérique et la technique sont juste un moyen pour parvenir au résultat désiré. Je travaille sur un projet qui continue de marier les formes de ces technologies et la fiction en mélangeant la 3D, le dessin et la vidéo.

Propos recueillis par Éloïse Bouteiller et Jacques Urbanska
Transcultures – 10.2015